Big Brother is Watching You

A quoi servent les bases de données issues de l'utilisation de cartes de fidélité "numériques" dans la grande distribution ? La carte "Plus" de Delhaize, ou "Happy days" (ex Avantage) de GB-Carrefour, ont déjà été utilisées par le fisc pour repérer des fraudes.

Pourtant, rien n'empêche que ces cartes soient anonymes. En effet, les points et ristournes sont faciles à encoder sur la puce, ou à associer à un simple numéro de carte. Quant aux études de marché faites par les départements commerciaux, pour élaborer les "profils" de la clientèle, seules les données de consommation par carte sont utiles, ainsi que le magasin où se fait l'achat.

Connaître le nom, les coordonnées ou tout autre renseignement ne sert à rien… sauf à pouvoir envoyer de la publicité personnalisée aux clients, ou a permettre aux sociétés qui gèrent ces cartes de réaliser des profits supplémentaires en revendant les bases de données à des tiers (ce qui est d'ailleurs explicitement prévu et écrit en tout petit sur les formulaires de la carte Happy Days).

L'évolution récente de ces cartes met clairement en danger la protection de la vie privée. En effet, avec l'arrivée de l'euro et ses 8 pièces différentes, avec la tarification annoncée des retraits en espèces, de plus en plus de gens préféreront payer directement au moyen de ces cartes de fidélité (pour éviter également de devoir sortir deux cartes différentes : une pour les points, l'autre pour payer, sans compter que le recoupement avec la carte de banque est probable).

De plus, il est aussi possible de récolter des points en téléphonant, lors de transaction bancaires, en faisant le plein, en partant en vacances, en allant au spectacle, etc… Pour vous fidéliser ? Voire !

Ceci est une manoeuvre intelligente de la part des groupes associés dans cette opération et à l'origine de cette évolution : les cartes deviennent très personnalisées (plus question d'anonymat) et les bases de données n'en ont que plus de valeurs marchande. On passe donc progressivement et subrepticement de la raison d'être initiale de ces cartes (fidéliser la clientèle) à une toute autre utilité : faire beaucoup de profit, non seulement en analysant de très près le marché, mais en confectionnant des bases de données publicitaires à haute valeur ajoutée… en profitant de la naïveté du public à qui on distribue quelques cacahuètes en guise de tout remerciement.

Il ne faut pas être particulièrement paranoïaque pour craindre que tout cela fournisse un outil de fichage ultra performant de la population, qui aurait fait pâlir d'envie tous les dictateurs ayant sévi au cours de l'histoire de l'humanité. Sommes-nous bien à l'abri d'un revirement totalitaire en Europe ? Mais surtout, sommes-nous à l'abri d'une utilisation "totalitaire" par le privé, par exemple par la constitution de "listes noires", de locataires ou de candidats à l'emploi indésirables, à cause de leurs habitudes tracées : achat de certains médicaments qui révèle leur statut médical, achat de certains journaux qui révèle leur tendance politique, etc. Vous n'imaginez pas tout ce que le marketing peut faire contre vous.

C'est dans cette crainte que les lois de protection de la vie privée existent. Elles s'attachent surtout à empêcher la combinaison de bases de données indépendantes, en particulier en limitant le nombre et la nature des renseignements conservés.

L'utilisation de cartes anonymes est possible, en tout cas chez Delhaize. Un récent courrier adressé à un membre de RAP, par le directeur des ventes Marc Goossens, l'autorise à retirer à l'accueil de son magasin une carte Plus sans remplir la grille de données personnelles habituellement présentée dans ce cas. Une carte anonyme a bel et bien été délivrée de cette façon et ne semble pas poser de problème d'utilisation. Par ailleurs, d'autres clients de Delhaize ont affirmé se servir de cartes délivrées sous un faux nom, qui ne posent pas, elles non plus, de problème apparent.

Test-Achats a fait la même démarche et confirme la possibilité. Mais ils confirment que cela demande un peu d'insistance de la part du client, pourtant dans son droit !

Demandez, vous aussi, des cartes anonymes ! Et dans le cas où cela vous serait refusé, insistez ou prévenez-nous (nous n'avons pas encore d'informations obtenues au sujet de la carte Happy days de GB). En plus de lutter pour un monde plus sûr, vous aurez l'avantage de ne plus recevoir de publicités personnalisées. D'autres actions sont en cours d'élaboration.

À suivre.

Document: Réponse du Directeur Exécutif des ventes de Delhaize au membre de RAP qui lui avait renvoyé sa carte Plus.

Vous pouvez l'imprimer et vous en servir pour convaincre l'employé(e) de l'accueil qui montrerait des réticences à vous octroyer une carte anonyme.

Le nom et les références ont été modifiés. Le texte, par contre, est reproduit fidèlement.

NOTE: Le but de cette action n'est pas de vous inciter à faire vos achats dans les grandes surfaces, ni de faire la promotion de leurs cartes de fidélité, mais bien d'aider à limiter les dangers que l'usage de celles-ci fait peser sur les clients actuels et futurs, ainsi qu'à limiter l'envoi de publicité non désirée. Il est indispensable de montrer clairement que nos données personnelles ne sont pas de la marchandise que nous offrons pour quelques points. Si beaucoup de clients manifestent le désir d'utiliser des cartes "anonymes", la grande distribution devra tenir compte de cette réalité… et officialiser cette pratique (une certaine concurrence entre les deux principaux acteurs pourrait même être intéressante, si cela pouvait y contribuer). Il est sans aucun doute préférable de fréquenter les petits commerces. Beaucoup d'entre eux offrent encore une ristourne "fidélité" ( par exemple sous forme de timbres à coller dans un carnet, ce qui ne pose aucun problème).