Lettre de R.A.P. à Philippe Geluck

Cher Monsieur Geluck,

R.A.P. est une association dont l'objet est la résistance à l'agression publicitaire.

Sans être hostiles par principe à la publicité, force est de constater une explosion des supports, lieux et méthodes indirectes qu'elle utilise, sans parler d'une évolution inquiétante du contenu des messages et des techniques de persuasion. Nous développons une série d'actions et de réflexions pour dénoncer et réduire l'emprise excessive qu'elle exerce désormais sur nos vies, nos environnements physique et idéologique, notre bien-être mental.

Nous avons l'honneur de vous informer que vous avez été choisi comme lauréat du nouveau prix médiatique que nous comptons décerner. Pour être exact, vous avez l'honneur bien plus grand d'être le premier lauréat, puisque c'est votre initiative qui nous en a donné l'idée.

Nous avons applaudi et souri devant ce "Soir" entièrement illustré par vos soins. Bravo pour l'idée, chapeau pour sa réalisation. Nous imaginons une rédaction perplexe à la question de savoir que faire des pubs. Aucune solution n'était optimale : vous les faire dessiner ou les laisser telles quelles. Pour nous, il était simple d'imaginer un numéro où toutes les pubs seraient sans image. Mais ce n'est pas la voie que vous avez choisie. Au contraire, l'exercice de style s'est vautré dans l'opération commerciale en faisant appel à vos collègues et offrant aux agences un nombre particulièrement élevé de pleines pages et de demi-pages.

Mais il est vrai que vous êtes un habitué (certains ici disent un acharné) de la promotion de votre personnage et de la publicité.

Nous ne voulons pas poser l'indiscrète question de qui a payé combien à qui dans cette opération. Ce sont vos affaires. Ce qui nous choque, c'est la caution prêtée par des artistes renommés et appréciés à un type de démarche dégradante qui nie l'essence même de l'art en le réduisant au commerce. C'est le renforcement qu'ils aident à construire dans l'esprit public, d'une certaine respectabilité de la pub. Mais aussi à un mode de fonctionnement de la société de surconsommation qu'en d'autres temps des gens comme Siné ou Fred nous semblaient plus volontiers critiquer.

Votre action nous a blessés, en ce qu'elle nie ce pour quoi nous nous battons, dans le sens où elle méprise l'effort citoyen pour une autre mondialisation, moins dominée par le capital, plus sociale et plus respectueuse de l'environnement.

Nous avons voulu réagir, et l'idée est venue de créer des "Prix Citron" de la même manière que les publicitaires (et les gens de BD) s'autocongratulent en se décernant des prix. Ainsi sont nés le « Prix Carpette » pour l'artiste ou l'association qui s'est le plus vilement vautré dans la servilité aux intérêts commerciaux, et le « Prix Couillon » pour celui qui s'est le plus bêtement fait avoir à servir ces intérêts sans se rendre compte de ce qu'il fait.

Non-violents et attachés aux principes du respect individuel, nous ne voulions pas rendre publique cette remise de prix sans avoir d'abord laissé la parole à l'accusé. Il est possible que vous ayez à nous exposer des éléments dont nous n'avons pas tenu compte. De plus, avouons-le, nous ne savons pas si c'est le « Prix Carpette » ou le « Prix Couillon » qui vous revient, et serions heureux de pouvoir en bavarder avec vous.

Pouvons-nous solliciter une entrevue de votre part avec un ou deux de nos organisateurs, afin de lever les incertitudes à ce sujet et, éventuellement, nous conduire à réviser notre projet ? Vous comprendrez que ce happening doit rester d'acualité, et que sans nouvelle de votre part dans les jours qui viennent, nous continuerons, rassurés de vous avoir offert cette entrevue.

Nous vous prions d'accepter, cher Monsieur Geluck, l'expression de nos sentiments distingués.