U2 Please STOP...

Chouette petite manif anti-ClearChannel ce vendredi 10 juin devant le stade du Heysel, après une campagne effectuée dans des conditions difficiles.

Vendredi 10 juin à Bruxelles (Heysel)

Reportage de votre envoyé spécial

18h à la sortie de la station métro Stuyvenbergh, nous ne sommes que deux trois, gasp. Certains se sont excusés en dernière minute, peut-être ne serons-nous pas dix. Un repérage devant le stade nous a déjà appris que ce ne serait pas facile. L'ambiance est un peu électrique, U2 n'est attendu qu'à 21h mais les fans commencent déjà à entrer dans le stade vers 16h. Il y a des forces de l'ordre partout, même dans les airs.

Nous nous disons qu'il faudra probablement tenter de déployer la banderolle pendant une minute devant l'entrée principale. Heureusement après quelques minutes nous sommes une petite dizaine, puis bientôt une vingtaine. On commence a respirer, ouf, la manif sera possible ;o)

En plus de la banderolle, des panneaux ont été préparés. On va les chercher. 18h30 on est prêt, on y va. A l'embouchure du quai - nous n'avons pas faits dix pas - nous sommes arrêtés par des policiers en civil.

"Bonjour, on peut savoir ce que vous comptez faire ?"

" Ah mais bien sûr, nous allons longer l'avenue Houba de Strooper par la gauche, puis devant l'entrée principale du stade, nous traversons et nous déploierons la banderolle, sans déranger personne, sur la petite pelouse à côté de l'entrée".

Ces policiers sont particulièrement courtois, gentils et compréhensifs. Il ne semble pas y voir d'inconvénients majeurs, cependant ils demandent la carte d'identité du responsable. Apparemment, pour notre sécurité, à partir de ce moment nous allons être escortés par une escouade. Des amis espagnols qui manifestent pour la première fois à Bruxelles n'en reviennent pas: ici, les manifestants sont protégés par la police, qui les escorte d'ailleurs jusqu'au lieu de la manif.

Protégés et escortés

Un peu plus loin, nouvelle arrestation. Cette fois on nous fait comprendre qu'il n'est pas question de manifester à côté de l'entrée principale. On n'est plus sûr de rien, le commissaire n'a pas encore pris sa décision. Quelques minutes, la voici: on peut aller à l'arrêt de tram presqu'en face de l'entrée principale. On n'a guère le choix, c'est ça ou pas de manif. Nous nous installons donc de l'autre côté de l'avenue de Strooper, qui est un véritable boulevard difficile à traverser. Encadrés par la police et suffisament éloignés des hordes de fans, nous sommes en parfaite sécurité pour dérouler la banderolle et disposer nos panneaux.

Il est 19h, nous sommes tolérés là jusqu'à 20h. C'est une chance car la permission de manifester n'a pas été demandée. Nous remercions donc le policier qui a eu l'obligeance de s'inscrire sur nos listes afin de prévenir pacifiquement tout dérapage incontrôlé. Sachez donc que si vous n'avez pas l'étoffe d'un bon organisateur, nos autorités parent à cette éventualité et organiseront, pour vous, vos manifestations.

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Succès mitigé donc pour cette mini-manifestation anti-ClearChannel que certains ont malheureusement compris au premier degré comme étant une manif anti-U2. Thierry Coljon n'est pas de ceux là, puisqu'il publia presqu'intégralement dans le Soir les propos qui lui avaient été tenus, comme vous le lirez ci-dessous. Un p'tit interview sur la RTBf (la Première)… ça doit être tout ? Les fans qui ont eu la chance de nous apercevoir ont été peu nombreux. Aucun signe de la moindre hostilité à notre égard. Des applaudissements par contre, il y en avait.

Une campagne réalisée dans des conditions difficiles

Beaucoup s'accordent à penser que ClearChannel n'est qu'un "grand méchant américain business", mais "c'est la vie… et puis basta". Malheureusement c'est un peu plus pire que ça. Bien sûr, beaucoup s'accomoderont plus ou moins bien de la flambée des prix, du moment qu'eux-mêmes puissent encore s'offrir quelques tickets de concert chaque années, sans trop en souffrir.

Malheureusement ClearChannel est aussi la pire machine de propagande dont on se demande bien si pareille "mise en pratique" n'a jamais existé. Les dégâts occasionnés sont bien plus graves que la simple flambée des prix (actuelle et à venir). Les dégâts principaux sont idéologiques et culturels. Cette idéologie crasse du "chacun pour soi" qui fait notamment que plus personne (ou presque) ne s'offusque de la nature de l'ordre économique environnant, est affichée, en ce moment, des millions de fois à travers le monde entier sur écran géant par ClearChannel.

Par ailleurs, de plus gros dégâts sont occasionnés à notre démocratie: par sa position de plus en plus dominante c'est ClearChannel qui détermine ce que nous boufferons demain sur le plan culturel, et de quelle façon nous le consommerons. Or, personne n'a jamais voté pour ClearChannel, et il n'est pas normal qu'autant de pouvoir (sans contre-pouvoir) soit détenu, chez nous, par aussi peu de mains (étrangères de surcroît).

A en croire le courrier que nous avons parfois reçu, une grande confusion engendrant souvent de grandes illusions sur nos démocraties se font jour lors de campagnes comme celle-ci. Croyant sans doute que chacun peut faire ce qu'il veut, certains fans de U2 nous ont écrit pour nous mettre en garde: "n'allez pas bloquer l'accès au stade, car vous risqueriez de prendre des coups".

C'est d'autant plus naïf que même si ous étions suffisament nombreux et belliqueux pour imaginer faire ça, jamais les forces de l'ordre ne nous auraient laissé faire. Comme on l'a vu plus haut, impossible d'organiser quoique ce soit de public sans qu'un contrôle rigoureux et professionnel ne soit effectué en amont.

Illusion aussi de croire que l'on peut encore mener aujourd'hui une campagne de sensibilisation au moyen d'affiches dans l'espace public, si ce n'est pas une campagne autorisée (entendez par là payée au prix fort) par le système publicitaire. Pour cette campagne anti-CC, nous avons imprimé 2000 affiches A2. 1200 de ces affiches ont été collées, en vain, à Bruxelles. Une véritable guerre nous à été menée par les afficheurs "sauvages" (une mafia de professionnels qui ont mis la main sur tous les espaces d'affichages "sauvages" tels que les maisons abandonnées, certaines palissades, etc.). Or, ces espaces sont les seuls espaces où les militants tels que nous peuvent encore coller quelques affiches sans craindre plaintes et amendes. L'année passée nous avons reçu une amende parce qu'un militant avait collé une affiche sur un pont encore "vierge". Il est donc clair que si nous collons des affiches n'importe où, non seulement on pollue l'environnement mais le prix de la campagne risque vite de devenir TRES élevé.

En collant nos affiches "U2 supports ClearChannel" j'ai rencontré un de ces afficheurs sauvage. Voici le récit de cette rencontre:

Je collais une affiche dans la Chaussée de Wavre lorsqu'un type débarque d'une luxueuse camionette bleue anonyme. Il arrache mon affiche et me dit que ça fait plus d'une semaine que "nous les emmerdons" en collant nos affiches. Je lui demande où je peux les coller ?

  • l'Afficheur: Dans les espaces prévus pour.
  • Phil: Qu'est-ce que c'est ?

(réponse: des espaces d'affichage d'1m² que la commune met à la disposition des citoyens. Il doit y en avoir une dizaine à Bruxelles et certainement pas dans toutes les communes).

  • P: c'est impossible.
  • A: pourquoi ne vas-tu pas mettre ton affiche là ? (en me montrant une palissade de bois neuf qui borde des travaux).
  • P: parce que là c'est l'amende assurée.
  • A: Ah, alors tu attends que nous y mettions des affiches pour te mettre dessus ? me lance-t-il.
(C'est vrai qu'ils prennent des risques, mais leur petite "affaire" leur permet sûrement de prévoir un poste "amende" bien confortable)
  • P: Ben oui, mais je ne veux qu'une petite place pendant quinze jour.
  • A: Pas question. Et cela ne sert à rien de continuer à en coller, nous les enlèverons.

Et de fait, presqu'aucune des 1200 affiches collées à Bruxelles n'a tenu plus d'une journée, beaucoup ont même été arrachées dans la demi-heure par les équipes de "nettoyage" particulièrement efficaces de ces mafieux. Par dépit, après deux semaines de travail inutile, beaucoup de nos affiches ont alors été collées en plein millieu de leurs plus grandes. Si la colle avait eu le temps de prendre, les mafieux collaient alors du papier journal ou des affichettes dessus pour la faire disparaître comme dans l'exemple ci-dessous.

Campagne sabotée

Bref, une lamentable expérience qui se solda par une score très nettement en notre défaveur: 1200 affiches (chèrement payées par les plus motivés d'entre nous) sabotées, et des journées entières de boulot perdues. On pourrait évidemment se dire "tant pis", il faudra trouver une autre méthode pour faire une campagne militante: l'affiche comme moyen de communication appartient désormais à 100 % aux pubards professionnels, même si certains opèrent en toute illégalité.

Mais ce serait enterrer un peu vite la problématique.

Détrompez-vous si vous pensez que cet affichage sauvage est uniquement "culturel". Premièrement, il ne s'agit que de consommation (disques, concerts) très souvent pour ClearChannel (qui y voit le moyen de faire de la pub très bon marché), ensuite on a vu récemment fleurir sur ces espaces de la pub franchement commerciale (CocaCola avec le "Goblin", la banque Fortis avec une carte jeune, et il y a quelques semaines Garnier avec une colle pour cheveux "pimp your hair"). Cette pub commerciale est d'autant plus juteuse que les cibles sont ajustées et qu'aucune taxe ou location de panneaux n'est payée.

Affichage culturel ?

Enfin, cet affichage sauvage n'est pas si marginal que ça car il occupe des centaines d'espaces à Bruxelles.

Comme vous le voyez, il reste pas mal de pain sur la planche,… mais nous sommes plus déterminés que jamais ! ;o)

Phil