Dossier Clear Channel

Dans un courriel adressé aux inscrits sur la liste de diffusion (daté du 25 mars 2003, "Collusion entre publicitaire et pouvoir aux USA"), nous avions traduit un article du Chicago Tribune qui nous parlait des manifestations pour la guerre en Irak que finançait et promouvait la puissante multinationale publicitaire CLEAR CHANNEL. (cette traduction est disponible ci-dessous).

Quelques jours plus tard, nous envoyions un autre courriel, "Canaux d'influences", toujours à propos de CLEAR CHANNEL, car nous nous étions aperçus entre-temps que cette même multinationale publicitaire avait tout bonnement acheté la plupart des organisateurs de concerts rock dans notre pays.

Ces informations inquiétantes nous ont donné envie de fouiller un peu. Ce que nous avons découvert nous a servi à élaborer un dossier que vous pouvez télécharger ici.

26 avril 2004: Ouverture du site HailToCC.org pour le festival Rock Werchter organisé par Clear Channel.

Le site a été fermé en avril 2006. Son contenu a été transféré ici: hailtocc.org


Téléchargements

(dernière mise à jour: 01/07/2003)

Dossiers « CLEAR CHANNEL » Pourquoi faut-il stopper ClearChannel ?

Dossier ClearChannel (1) , au format .pdf, sans illustrations, présentation "aérée" (47 pages), table des matières interactive, version 01, parue le 01/07/2003

Dossier ClearChannel (2) , au format .pdf, sans illustrations, à imprimer (35 pages), version 01, parue le 01/07/2003

Des versions illustrées seront bientôt disponnibles.


Voici les articles qui ont lancé la réalisation du dossier.

Guerre: collusion entre pouvoir et publicitaires aux USA

Le sponsoring de manifestations par un géant des médias soulève des questions

(par Tim Jones, publié dans le Chicago Tribune du 19 mars 2003) (traduction pour RAP: Frédéric)

Une partie des plus grandes manifestations de ce mois a appuyé la stratégie du président Bush contre Saddam Hussein, un lien existe entre la plupart de celles-ci: Clear Channel [1] Worldwide Inc., le plus grand propriétaire de stations de radio du pays.

Dans une action qui a suscité l'attention dans certains cercles de légistes et de journalistes, les radios de Clear Channel à Atlanta, Cleveland, San Antonio, Cincinnati et d'autres villes ont sponsorisé des manifestations attirant jusqu'à 20000 personnes. Ces rassemblements ont servi d'important argument face aux manifestations anti-guerre, plus nombreuses mais généralement plus petites.

Le sponsoring de grandes manifestations par Clear Channel est unique parmis les plus grandes sociétés de média qui ont limité leurs activités dans le débat sur la guerre à de simples exposés de l'actualité, occasionnellement accompagnés de commentaires. Le diffuseur, basé à San Antonio, possède plus de 1200 stations dans 50 états et le district de Columbia.

Alors que des syndicats et des groupes d'intérêts divers organisent des manifestations depuis des dizaines d'années, l'implication d'une grande société de diffusion, soumise aux régulations de l'état, est une première pour des manifestations publiques.

« Je pense que c'est assez extraordinaire » a déclaré l'ancien fonctionnaire de la FCC (NdT: organe public de contrôle des communications, un peu comme l'IBPT en Belgique), Glen Robinson, qui donne des cours de loi à l'université de Virginie. « Je ne peux pas dire que ça viole certaines des obligations des diffuseurs, mais ça frise la fabrication de nouvelles ».

Une porte-parole de Clear Channel a déclaré que les manifestations, appelées « Manifestations pour l'Amérique » sont l'idée de Glenn Beck, un animateur de talkshow de Philadelphie dont le programme est diffusé par Premier Radio Networks, une filiale de Clear Channel.

«De simples manifestations patriotiques»

Une manifestation le week-end passé à Atlanta a attiré une estimation de 20000 personnes, certaines avec des signes « Dieu bénisse l'Amérique » et d'autres avec des affiches condamnant la France et le groupe Dixie Chicks, dont un des membres a récemment critiqué le président Bush.

« Il ne s'agit pas de manifestations pour la guerre. C'est plutôt un "merci" pour les troupes. Il s'agit juste de simples manifestations patriotiques » a dit la porte-parole de Clear Channel, Lisa Dollinger.

Des manifestations sponsorisées par Clear Channel sont prévues pour ce week-end à Sacramento, Charleston, S.C. et Richmond. Même si Clear Channel a fait de la publicité pour 2 des manifestations récentes sur son site web, Dollinger déclare qu'il n'y a pas de directive de la société demandant aux radios d'organiser de telles manifestations.

« Toutes les manifestations où nos radios ont prit part l'ont été de leur propre initiative et en réponse aux désirs de leurs auditeurs » a déclaré Dollinger.

Clear Channel est de loin le plus gros propriétaire de radios du pays. L'entreprise n'en possédait que 43 en 1995 mais quand le congrès a supprimé bon nombre de limites de propriété en 1996, Clear Channel s'est rapidement placé sur la route de la domination des ondes. La société possède et gère 1233 stations (dont 6 à Chiago) et annonce 100 millions d'auditeurs. Clear Channel a généré environ 20% des 16 milliards de revenu des radios en 2001.

La taille suscite des critiques

La taille du géant des médias a également généré la critique. Certains artistes ont dénoncé que la domination de Clear Channel dans les radios et la promotion des concerts perturbe l'industrie du disque. Le congrès investigue les effets de la consolidation des radios. Et la FCC réfléchit à des changements dans les règles de propriétés, parmis lesquelles celles qui ont permis à Clear Channel d'étendre son emprise.

Le sénateur Russel Feingold (démocrate du Wisconsin) a introduit une proposition de loi qui pourrait arrêter de futures dérégulations dans le secteur des radios et limiter les parts d'audimat et le pourcentage de revenu de la publicité de chaque société. Ces mesures pourraient limiter la croissance météorique de Clear Channel et gêner sa rentabilité future.

Jane Kirtley, une professeur de l'éthique des médias de de loi à l'université de Minnesota, a déclaré que le support de la société à la politique de l'administration Bush par rapport à l'Irak rendait « difficile d'éloigner l'idée que cela pourrait être motivé par les problèmes que Clear Channel a devant la FCC et le congrès ».

Dollinger a nié l'existence d'un rapport entre les manifestations et les questions de régulation auxquelles la société va être confrontée.

Rick Morris, un professeur de communication à la Northwestern University a déclaré que les actions des radios de Clear Channel sont une extension logique des changements dans le secteur des radios ces 20 dernières années, y compris la confusion entretenue entre journalisme et spectacle.

Dans une perspective économique, a déclaré Morris, les manifestations sont idéales pour les radios, particulièrement les radios à talk show où les animateurs affichent généralement des vues politiquement conservatrices.

« Personne ne devrait être surpris par ça » a déclaré Morris.

En 1987 la FCC a abrogé la "Doctrine d'Honnêteté" qui obligeait les diffuseurs à couvrir les sujets à controverses dans leurs communautés et à le faire en offrant des vues équilibrées. Cette obligation supprimée, a déclaré Morris, «les radios peuvent se comporter plus comme des journaux, avec des pages d'opinion et des éditoriaux».

« Elles viennent de commencer à étendre leurs jambes, devenant plus actives politiquement » a déclaré Morris.

1 

Clear Channel - (extrait de RAP-Sodique 5, dossier STIB, page 18)

(…) La publicité sur l'ensemble des supports appartenant à la STIB (véhicules, stations, panneaux de grandes dimensions sur ses terrains) a été confiée à la société Media Transport Brussels (groupe ClearChannel, connu en Belgique sous le nom de More O'Ferrall ) qui gère la location des ces espaces (…)

ClearChannel est un des leaders mondiaux de l'annonce publicitaire en extérieur. Aux Etats-Unis, le groupe se targue de dominer le marché publicitaire sur les radios (il est présent sur 1225 radios et détient ) et la télévision (39 chaînes). A l'étranger son offre se diversifie et inclue les panneaux géants, les abribus ainsi que la publicité lors des évènements culturels du type concert rock.


Second article:

CANAUX D'INFLUENCE

(Paul Krugman, The New York Times, March 25, 2003)

(Traduit de l'anglais par Myriam Tonelotto)

« généralement parlant, les récentes manifestations pro-guerre sont loin d'avoir rassemblé autant de personnes que les défilés contre la guerre, mais elles ont certainement été véhémentes. […] Qui a organisé ces manifestations pro-guerre ? La réponse, semble-t-il, est qu'elles ont été encouragées par des personnages clé de l'industrie de la radio, étroitement liés à l'administration Bush… »

Canaux d'influence

D'un point de vue général, les récentes manifestations pro-guerre n'ont pas rassemblé autant de personnes que les défilés contre la guerre, mais elles ont certainement été véhémentes. L'une des plus frappantes s'est tenue après que la chanteuse Natalie Maines, leader du groupe Dixie Chicks, ait critiqué le président Bush : une foule s'est rassemblée en Louisiane pour regarder un camion de 15 tonnes écraser une collection de CD, cassettes et autres gadgets estampillés Dixies Chicks. A ceux qui ont en mémoire l'histoire du 20ème siècle en Europe, tout cela avait des réminiscences de… mais comme l'a dit Sinclair Lewis, ça ne peut pas arriver ici, aux USA !

Qui a organisé ces manifestations pro-guerre ? La réponse, semble-t-il, est qu'elles ont été encouragées par des personnages clé de l'industrie de la radio, étroitement liés à l'administration Bush.

Le rassemblement autours du pilonnage des CD est l'oeuvre de KRMD, filiale de Cumulus Media, une chaîne de radio qui a banni les Dixies Chicks de sa programmation musicale. La plus-part des défilés en faveur de la guerre à travers le pays sont toutefois dus aux stations radios du groupe Clear Channel Communications, un colosse basé à San Antonio qui contrôle plus de 1200 stations et ne cesse d'étendre son hégémonie sur les ondes.

La compagnie assure que les manifestations qui se tiennent sous le nom de « Rally pour l'Amérique » ne relèvent que de l'initiative individuelle des différentes stations. Mais c'est invraisemblable : à en croire Eric Boehlert, auteur d'enquêtes sur Clear Channel dans la revue Salon, la compagnie serait notoirement et largement détestée pour le contrôle impitoyable qu'exerce la direction centrale sur ses stations satellites.

Jusqu'ici, les plaintes contre Clear Channel visaient ses pratiques commerciales. D'après les critiques, le groupe utilise sa puissance pour éjecter des ondes labels musicaux et artistes au profit d'une fadeur musicale galopante. Mais à présent la compagnie apparaît comme usant de son poids pour appuyer l'une des parties dans un conflit qui divise largement le pays. (ndlt : relire l'article « Silencieuse idéologie des radios musicales » in Manières de voir n°63)

Pourquoi un groupe de media essaye-t-il ainsi de s'insérer dans le débat politique ? Ce pourrait être, bien sûr, une question de convictions personnelles au coeur d'une partie de la direction. Mais Clear Channel - qui n'a accédé au statut de géant que depuis quelques années, suite au Telecommunication Act de 1996 et à la levée des principaux obstacles à la concentration des média — a de bonnes raisons de courtiser le parti républicain au pouvoir. En effet, d'un côté Clear Channel commence à sentir le roussi : la compagnie est poursuivie en Justice, des artistes refusant de participer aux tournées de concerts organisés par la radio s'étant plaints d'avoir été menacés en retour de ne plus être programmés par les stations du groupe. Or plus d'un homme politique serait disposé à remettre en cause la loi de dérégulation qui a permis l'expansion de la compagnie. D'un autre côté, la Commission Fédérale des Communications examine elle en ce moment même l'opportunité d'une dérégulation supplémentaire, qui autoriserait Clear Channel à s'étendre encore, en mettant notamment un pied dans la télévision.

Peut-être le renvoi d'ascenseur est-il plus caractérisé encore. Des « bushologistes » expérimentés ont lâché un «tiens, tiens!» intéressé lorsque Clear Channel s'est avéré se trouver derrière les rallies pro-guerre, la direction de la compagnie partageant une histoire avec George W.Bush.

Le vice-président de Clear Channel est en effet Tom Hicks, son est peut-être familier aux lecteurs de ces lignes. En effet, du temps où Monsieur Bush était gouverneur du Texas, Monsieur Hicks dirigeait lui l'Université de la Texas Investment Managment Company, autrement connue sous le nom de Utimco, le président de Clear Channel, Lowry Mays, apparaissant lui aussi sur l'organigramme. Sous la gestion de Monsieur Hicks, l'Utimco plaça une large part de la fondation de l'université sous la houlette d'entreprises étroitement liées au parti républicain et à la famille Bush. Mieux. En 1998, Monsieur Hicks s'est porté acquéreur de la célèbre équipe de football américain, les Texas Rangers, alors propriété de Bush junior. Le deal fit de George W.Bush un multimillionnaire.

Il y a donc anguille sous roche. Impossible de dire encore de quoi il retourne exactement, mais il y a fort à parier que ce à quoi nous assistons n'est autre que la prochaine étape de l'apparition d'une nouvelle oligarchie aux États-Unis. Ainsi que Jonathan Chait l'a écrit dans The New Republic, au sein de l'administration Bush « gouvernement et business ont fusionné en un grand "nous" ». Dans quasiment tous les domaines de la politique intérieure américaine, le business taille ses lois : « Des bataillons d'élus de second rang… veillent désormais aux entreprises pour lesquelles ils travaillaient auparavant ».

Nous aurions dû nous apercevoir qu'il s'agit d'une voie à double sens: si les politiciens passent leur temps à rendre service aux entreprises qui les ont soutenu, pourquoi nous étonner de voir ces mêmes entreprises leur faire des fleurs en retour ? En organisant, par exemple, des manifestations « populaires » pour leur compte ?

Ce qui rend tout cela possible, bien entendu, c'est l'absence de garde-fous. Du temps des Clinton, le moindre soupçon d'inconvenance se muait aussitôt en énorme scandale ; aujourd'hui, les marchands de scandale s'empressent plutôt de pourchasser les journalistes qui lèvent des affaires. Et puis de toutes façons, on est en guerre, non ?