Opération Fleur du désert

A l'instar de ces plantes incroyables, qui peuvent survivre des années sans eau et restent en boules toutes sêches en attendant de s'ouvrir lors de la prochaine pluie, l'action antipublicitaire survit dans ce désert. Lorsque les conditions sont réunies: elle fleurit tout à coup !


Pour un débat sur la place de la publicité dans l'espace public

LES ANTIPUBS RECLAMENT !


  • Bienséance élémentaire

S'il ne devait plus rester qu'un seul reproche à la publicité, ce serait probablement celui-ci : son manque total de respect envers les gens. Nous vivons en société, certaines règles élémentaires de savoir vivre doivent être appliquées afin que puissent vivre dans une relative harmonie les millions d'habitants qui peuplent notre pays.

La publicité ignore superbement toute politesse et en particulier celle qui consiste à laisser parler les autres.

Dans l'espace public aujourd'hui, pour communiquer au moyen des médias destinés à cet effet, il faut de l'argent, beaucoup d'argent. Deux grosses sociétés d'affichage détiennent la quasi totalité des dispositifs mis en place. Le prix de location qu'elles fixent pour ceux-ci est exorbitant : une simple face de deux mètres carrés (« sucette », aubette de bus, panneaux rétro-éclairés du métro) coûte +/- 74 euros (3000 fb) pour 7 jours. Une campagne sur les 2600 panneaux JC Decaux la bagatelle de 189 372 euros ( 7 638 130 fb).

En dehors des dispositifs appartenant aux deux sociétés rivales il n'existe rien de légal, à part quelques panneaux communaux destinés à l'information administrative ou parfois culturelle. Quelques sociétés commerciales se disputent les espaces d'affichages sauvages (tolérés) tels que les maisons abandonnées, certaines palissades ou autres murs, pour y coller les affiches de l'industrie culturelle (annonces de concerts, ventes de disques, etc.).

Il ne reste donc aucun espace pour l'expression politique (la vraie, pas celle de politiciens qui se vendent comme de vulgaires savonettes), militante, artistique, des citoyens. Ces derniers ont donc peu (c'est un euphémisme) l'occasion de s'exprimer dans l'espace public. Il en ressort que le discours largement dominant est celui que nous tiennent les grosses firmes et multinationales. Celles-ci font dans l'espace public un raffut de tous les diables (bien davantage que tous les citoyens réunis) et dans les faits, on n'entend plus qu'elles.

Une poignée de dominants ont donc la possibilité d'envoyer des messages aux millions de citoyens et de couvrir par la force ceux qui émanent de ces derniers. A l'échelle d'un petit groupe cette situation semblerait surréaliste. Les quelques goujats qui monopoliseraient ainsi la parole en permanence seraient remis à leur place illico.

C'est donc au nom d'un principe de bienséance élémentaire que la pub, telle qu'on la connaît de nos jours, doit retourner à la place qu'elle n'aurait jamais dû quitter. Admettre que quelques grands patrons puissent s'acheter le monopole du droit d'adresser des messages au public équivaut à nier la démocratie. La démocratie, ça ne s'achète pas !

  • Une nécessaire régulation

Rêvons un peu : imaginons que par un coup de baguette magique disparaissait cette mainmise sur l'expression dans l'espace public. Si tout le monde pouvait s'exprimer librement, coller ses propres 36 m² ou ses petits tracts, aux contenus les plus divers, un peu partout. L'athmosphère ne deviendrait-elle pas irrespirable ? Ca se pourrait. Il va donc de soi que tout le monde ne peut pas faire n'importe quoi dans l'espace public, au nom de la même bienséance élémentaire. Si tout le monde voulait faire entendre sa voix en même temps ce serait le tintamarre assuré. Il est préférable que l'espace public conserve un caractère serein et calme afin que chacun puisse s'y déplacer en toute quiétude. La publicité telle qu'on la connait fait office de régulateur aux allures totalitaire : seuls ceux qui peuvent allonger l'oseille peuvent s'exprimer et le nombre de panneaux est limité (pour tenter d'éviter - de justesse - le seuil critique où plus personne ne peut capter les messages parce qu'il y en a trop).

Remettons les choses à leur place afin que nos démocraties en aient au moins l'allure. Que les messages commerciaux retrouvent la place qui est la leur dans les espaces commerciaux. L'espace public, ce n'est pas cette foire permanente où l'on vous tire par la manche pour vous vendre quelque chose !

Les citoyens et associations de citoyens, artistes ou militants doivent pouvoir s'exprimer et adresser eux aussi des messages à la population. Des lieux prévus à cet effet doivent exister, ils doivent être gérés eux aussi pour que la quiétude de l'espace public soit sauvegardé.

  • Vers un rééquilibrage ?

Aujourd'hui, la situation est déséquilibrée, foncièrement injuste. Cette situation ne peut perdurer et l'on observe déjà la surenchère à laquelle elle conduit. Suivant l'exemple donné par la « culture pub », des tags et bientôt des œuvres de toutes sortes vont saturer l'espace public. Cette « petite » radio va coller sa pub perso sur des centaines de feux de signalisation, ce posse de taggers va signer de son logo des dizaines de murs ou de banquettes d'autobus, tels et tels artistes vont placer leurs œuvres sur tous les supports possibles. Les autorités auront bien du mal à poursuivre les auteurs de tous ces affichages « illégaux » tant ceux-ci peuvent se multiplier, et tant l'inégalité entre ceux qui ont le droit de parler et les autres est criante. C'est un rééquilibrage forcé.

  • L'action de R.A.P.

C'est dans cet esprit que R.A.P. travaille aujourd'hui. Il n'est pas sain de coller notre message n'importe où dans l'espace public et nous le reconnaissons. Néanmoins, force est de constater qu'aucun espace n'est prévu pour nous donner la parole. Nous n'avons pas suffisament d'argent pour « mener campagne » sur les dispositifs existants dans l'espace public. Même si nous avions cet argent, nous ne le donnerions pas à ces sociétés qui louent à prix d'or leurs « services ». Le droit à l'expression est un droit fondamental en démocratie.

Par ailleurs, nous ne pouvons compter sur le relais que pourrait nous offrir presse, radios ou télés. La plupart appartenant à de grands groupes financiers et vivant en trop grande partie au moyen de la publicité, leur indépendance n'est plus toujours assurée, loin s'en faut. Si parfois, lors d'une de nos actions, la presse en fait écho, ce n'est trop souvent que pour mieux tronquer notre discours voire en détourner le sens. La logique étant qu'on ne mord pas la main qui nous nourrit, les médias ne se fâchent pas avec leurs annonceurs. Nous en voulons pour preuve que nos amis d'Adbusters et de Casseurs de pub se sont vu refuser par les principales télés le droit de diffuser un spot (qu'ils voulaient bien payer au même tarif qu'un spot publicitaire) annonçant la « journée sans achat » qu'ils organisent une fois par an.

En collant nos affichettes (sans dégrader les supports) nous voulons attirer l'attention sur le fait que la place que prend la publicité dans l'espace public n'a jamais fait l'objet de débats publics et politiques. Or, par son pouvoir d'influence énorme et l'absence de contre-pouvoir équivalent, la pub contribue fortement à un conditionnement des esprits, à une normalisation des comportements et au règne d'une pensée unique. De plus, elle salit les paysages, dégrade l'environnement. Nous voulons donc que soit mis fin à ce pouvoir (obtenu par la force et l'argent) et que la liberté d'expression soit à nouveau assurée afin que nos démocraties puissent se développer. Nous appelons toutes celles et ceux qui le peuvent à rejoindre notre mouvement de résistance.

Téléchargement des affiches